Les Galères de Brest Sans Filtre

Les Galères de Brest Sans Filtre

Mutualisation numérique : pourquoi les collectivités galèrent encore ?

Brest comme vous ne l’avez jamais vue

5 septembre 2025


Un rêve partagé... Qui rame sec à l’accostage

Imaginez Brest et sa métropole, des communes autour, tout le monde main dans la main pour acheter un logiciel qui marche pour tous, partager une équipe informatique qui vous répond avant que l’ordi monte dans les tours, ou, soyons fous, mettre les données des écoles sur le même serveur. Un eldorado, sur le papier. Sauf que dans la réalité, ça grippe souvent, un peu comme un vélo d’emprunt sous la pluie rue de Saint-Malo.

Pourtant, la mutualisation numérique, ce n’est pas un gros mot : rationaliser l’achat, fédérer les réseaux, mieux sécuriser les infos… Sur le papier, tout le monde y gagne. Sur le terrain, les freins sont nombreux, parfois minuscules (l’agenda qui déborde), parfois structurels (la résistance à l’idée même de “partager”). Bref, voici un tour d’horizon des galères qui empêchent la marée numérique de monter partout de façon harmonieuse chez les collectivités (et ça ne concerne pas que Brest, promis !).

Petit glossaire de la mutualisation numérique : on parle de quoi ?

  • Mutualisation logicielle : Achat ou développement de solutions informatiques utilisées par plusieurs collectivités – parfois groupées dans un GIP ou un Syndicat mixte ;
  • Partage de compétences : Fonctionnaires/développeurs/experts déployés auprès de plusieurs structures (par exemple, un RSSI partagé entre Brest et Plouzané) ;
  • Infrastructures communes : Datacenters, réseaux, services cloud, etc. mutualisés pour optimiser la sécurité et les coûts.

Dit comme ça, ça coule de source. Pourtant, côté pratique…

Les vrais freins du terrain : ce n’est pas (que) une histoire de sous !

Frein numéro 1 : la gouvernance, cette galère à plusieurs barreaux

Qui décide ? Qui paye quoi ? Qui gère les incidents ? Quand plusieurs mairies, une agglo, un département s’associent, il faut mettre d’accord des élus… qui n’ont pas tous les mêmes priorités, visions, ni mêmes agendas électoraux.

  • Exemple typique : La mutualisation du SI en Bretagne a vu le jour en 2015 via le GIP Mégalis, qui fédère aujourd’hui près de 2 000 organismes (source : Mégalis Bretagne). Mais obtenir un schéma de gouvernance commun, c’est parfois trois ans de réunions… et deux avocats par collectivité !
  • Les décisions opérationnelles (horaires, choix techniques) cristallisent vite les crispations : chacun veut avoir la main sur “ses” priorités, minimisant la marge de manœuvre de l’ensemble.

Frein numéro 2 : la peur de la perte de contrôle – ou le syndrome du “c’est chez moi”

  • Des agents craignent d’être dépendants d’un service extérieur (“et si on attend six jours pour un mot de passe ?”) ;
  • Les élus veulent garantir la souveraineté locale, surtout après quelques cyberattaques retentissantes ces dernières années (des dizaines de collectivités hackées, Le Monde).
  • Les DSI redoutent d’être noyés sous les demandes croisées.

Résultat : chacun regarde du coin de l’œil ce que l’autre va décider, et bien souvent… ralentit. Le “trésorier” de la maison voit vite rouge dès qu’il s’agit de mettre des lignes budgétaires en commun (“et si Brest investit… et que Guipavas en profite trop ?”).

Frein numéro 3 : les cadres juridiques et la complexité administrative

On ne fusionne pas des services informatiques comme on fusionne deux équipes de pétanque.

  • La législation impose de créer des conventions, des GIP, ou pire… des marchés publics complexes (voir le guide “La mutualisation des moyens numériques dans les collectivités territoriales” – Banque des Territoires).
  • Les collectivités doivent jongler entre RGPD, souveraineté des données, et normes parfois différentes en fonction de la taille ou du type de collectivité (commune, région…).

La moindre erreur coûte cher : on se souvient de la lourde amende subie par la Métropole d’Aix-Marseille en 2020 (censée mutualiser des services numériques mais ayant stocké des données hors UE…).

Frein numéro 4 : l’écart de maturité numérique entre collectivités

Ici, c’est un peu comme la météo : il peut faire beau à Lambézellec et pleuvoir à Bellevue. Autrement dit, certaines collectivités sont à fond : numérique, cloud, gestion documentaire dernier cri… D’autres sont restées à l’ère du fax.

  • D’après une enquête de l’Observatoire SMACL de la e-administration (2022), plus de 45 % des communes de moins de 3 500 habitants n’avaient aucun plan numérique défini.
  • Pas simple d’avancer en escadrille quand le porte-avions Brest Métropole doit ralentir pour ne pas couler la barque de la petite commune voisine !

Frein numéro 5 : la résistance psychologique (“nous, on a toujours fait comme ça”)

Un grand classique. Pour beaucoup d’agents, la mutualisation, c’est la fin d’une certaine autonomie. Crainte de perte de compétences, d’anonciation locale. Les habitudes sont tenaces !

  • On a vu des projets de hotline mutualisée exploser en vol à cause… d’un refus de changer la procédure de ticket informatique habituelle. “Le gars du support, je l’ai toujours au téléphone, pourquoi il me mettrait un formulaire ?”

Et puis il y a la question de la formation : qui va accompagner les agents ? À qui profiteront les efforts d’acculturation numérique ? Qui paie ?

Autres freins… Qui reviennent sur le tapis, toujours

  • Problèmes de financement : L’État encourage (subventions DETR, DSIL), mais c’est rarement suffisant pour couvrir le coût humain et l’accompagnement. Le plan France Relance (2021) a fléché 30 millions d’euros pour l’appui numérique mutualisé des collectivités, mais soit 0,25 % du budget total accordé à la transformation numérique publique (Source : France Numérique).
  • Difficulté de recrutement : Trouver un DSI ou un RSSI pour coordonner plusieurs entités ? Aujourd’hui, c’est le parcours du combattant. La Bretagne, par exemple, estime manquer de 400 profils publics spécialisés en numérique en 2024 (source : CCI Bretagne).
  • Craintes sur la sécurité : Centraliser = augmenter la cible pour les hackers. Et la prise de décision commune sur la cybersécurité, c’est souvent un chemin de croix.
  • Hétérogénéité des SI : Les parcs informatiques multi-marques, des logiciels “faits maison” dans certains territoires… L’intégration technique, c’est parfois du puzzle version 3000 pièces sans modèle.

Le tableau, côté chiffres

Élément Chiffres Clés Source
Nombre de collectivités françaises ayant mutualisé une partie de leur SI Environ 15 % (en 2022) CNFPT / Banque des Territoires
Économie potentielle sur le budget SI 10 à 30 % (selon l’ADULLACT, 2023) ADULLACT
Proportion de collectivités jugeant la mutualisation "complexe à mettre en œuvre" 68 % Observatoire SMACL 2022
Collectivités de moins de 3 500 hab. ayant un référent numérique Moins de 20 % France Numérique

Des pistes qui émergent, à petits pas… ou en mode commando

  • Des “task force” locales, comme la Mutualisation des DSI dans le Grand Est (Syndicat Mixte Mulhousien, 2021) qui propose des bouquets de services à la carte, évitant l’usine à gaz réglementaire ;
  • La montée en puissance des Solutions libres (LibreOffice, Maarch…), portée par des associations type ADULLACT et Mégalis Bretagne, qui permettent une mise en commun sans verrouillage propriétaire ;
  • Les “clubs utilisateurs” pour échanger entre agents, élus, DSI, comme le Club de mutualisation des SI des Hauts-de-France ;
  • Le développement de la médiation numérique (médiateurs partagés) pour chasser la peur et aider à l’acculturation progressive.

Petit à petit, les collectivités se connaissent mieux, partagent leurs galères dans des ateliers, et découvrent qu’elles ne sont pas seules. On voit aussi émerger des solutions portées par l’État, même si elles se cassent encore parfois les dents sur la diversité des terrains (cf. fiasco partiel de l’application Turquoise pour la gestion numérique des places en crèche à l’échelle d’une région – citation : Cour des Comptes, 2022).

Et Brest dans tout ça ?

Si ici aussi, on rame entre le crachin et les réunions, des projets pilotes comme la mutualisation du réseau Brest Métropole - Plougastel sont scrutés un peu partout. L’enjeu, pour demain, sera de concilier proximité, réactivité, et sécurité, tout en évitant l’effet “machine à gaz” et la résistance passive des agents. Avec sur le quai, ce petit espoir têtu de voir, un jour, les galères numériques accoster sans trop de bosses sur les ports du Finistère… ou d’ailleurs.

Et au prochain épisode, on parlera peut-être des solutions qui marchent, ou de l’arrivée de l’intelligence artificielle dans les services publics bretons. Si la marée, et la paperasse, le permettent !

En savoir plus à ce sujet :

Mutualiser les services numériques : quand les collectivités jouent collectif (et malin)

16/08/2025

Des services publics efficaces, sans exploser les budgets… Personne n’en rêve, tout le monde court après. Et la digitalisation ne facilite pas les choses. Entre la gestion des logiciels métiers, la sécurité, la formation des...

Mutualisation numérique entre collectivités : mode d’emploi pragmatique (et sans filtre)

11/08/2025

Posez une question simple à une mairie du coin : « c’est quoi le plus gros budget imprévu cette année ? » Réponse, souvent, entre deux croissants lors d’un conseil municipal : « Les outils numériques, oué, ça grimpe, on comprend...

Quand le numérique joue collectif : panorama des mutualisations en France

12/09/2025

La mutualisation, on en entend parler à la cantine du boulot comme dans les réunions du conseil municipal. Surtout depuis que le numérique est devenu la nouvelle marée montante : tout le monde a besoin de ses outils, mais...

Mutualisation numérique : l’arme secrète de nos territoires innovants

20/09/2025

Oui, le nom peut faire un peu peur. Mutualisation numérique : on imagine déjà la réunion du lundi matin, avec beaucoup de PowerPoint et de café froid. Erreur. Ce n’est plus le “truc” réservé aux grosses...

Derrière l’écran : orchestrer la gouvernance numérique entre collectivités sans finir KO

21/08/2025

Imaginez quatre mairies autour d’une vieille table de réunion, café filtre de rigueur et dossiers jamais vraiment droits. Tout le monde rêve d’applications fluides, de budgets moins crispés et de hackers obligés d’aller...