Les Galères de Brest Sans Filtre

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Mutualisation numérique entre collectivités : mode d’emploi pragmatique (et sans filtre)

Brest comme vous ne l’avez jamais vue

11 août 2025


Chacun sa galère, ou tous sur le même bateau numérique ?

Posez une question simple à une mairie du coin : « c’est quoi le plus gros budget imprévu cette année ? » Réponse, souvent, entre deux croissants lors d’un conseil municipal : « Les outils numériques, oué, ça grimpe, on comprend plus rien, c’est toujours à changer ». Les logiciels changent plus vite que le vent à la pointe du Raz. Et c’est pas une rumeur.

Mais si, au lieu de courir chacun après son ordi tout neuf, on mettait les ressources en commun ? Mutualiser, c’est plus qu’un mot à la mode dans les rapports publics. C’est un moyen de survivre dans ce dédale numérique où les collectivités locales (communes, intercommunalités, départements…) découvrent que la dernière facture d’entretien du logiciel métier ou de la fibre laisse un goût salé. Bien plus que la mer d’Iroise.

Pourquoi mutualiser ? Les vrais arguments au-delà du jargon

  • Faire des économies (les vrais, pas celles qu’on promet en campagne)

    Le numérique coûte cher. Très cher. À titre d’exemple, selon l’ADULLACT (Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales), une petite commune peut dépenser jusqu’à 20% de son budget de fonctionnement en solutions numériques.

    Mutualiser, c’est mutualiser les achats : licence logicielle partagée, maintenance commune, même recours d’assistance. En 2023, la ville de Rennes économisait ainsi 400 000 €/an en rejoignant un groupement pour sa plateforme open source (source : Ouest-France).

  • Mieux négocier avec les fournisseurs

    Ponctué de « c’est trop cher », le marché du numérique municipal, c’est chaque élu qui négocie dans son coin. À dix communes sur la même commande, ce n’est plus la même chanson. Volume + poids = tarifs plus justes.

  • Gérer la sécurité comme une vraie équipe (parce que les rançongiciels, ça tape fort)

    On oublie trop vite la vague de cyberattaques de 2023. 49 collectivités françaises touchées d’un coup, dont des géantes comme Angers, Brest (eh oui), ou Marseille (source : ANSSI). Un bouclier numérique partagé, c’est des failles en moins, et des nuits plus sereines.

  • Un accès à des compétences techniques impossibles seul

    La DSI (Direction des Systèmes d'information) de Paris, c’est 600 agents. À Plougastel, c’est deux, voire un et demi en cas de congé maladie. Ensemble, les petites collectivités recrutent ou se forment sur des domaines pointus (RGPD, sécurité, IA).

  • Une meilleure continuité du service public

    Plus de risques d’écran noir un matin de rentrée. Les pannes se traitent à plusieurs, avec des procédures homogènes et une hotline plus robuste.

Mutualiser, concret : ce qu’on partage (et ce qui reste chacun dans son coin)

Ce qui marche bien en mode “au panier”

  • Les licences logicielles (bureautique, gestion RH, finances, pièces d’état civil).
  • Les plateformes open source hébergées sur des serveurs communs (messagerie, archivage numérique – cf projet Archipel en Bretagne).
  • Les équipements réseau et serveurs, infogérés par un syndicat technique ou une agglomération.
  • Les équipes techniques de support et la cellule de veille sur la cybersécurité.

Ce qui reste souvent local, et pourquoi

  • La gestion des données sensibles : chaque collectivité reste légalement responsable de ses données. D’où l’importance de conventions et de politiques de sécurité béton.
  • Les outils métiers très spécifiques (cadastre, habitat hydrogène à Brest, logiciel scolaire à Quimper) : mutualisation plus complexe, même si l’interopérabilité progresse.

Comment ça s’organise, pour de vrai ?

C’est pas le grand soir, ni magique en trois réunions. Mutualiser, c’est d’abord lever les méfiances (“ils vont voir mes dossiers à la cantine ?”) et jouer franc jeu. Héritage de jalousies, histoires d’antennes déportées, lubies locales à ne toucher sous aucun prétexte, et tout le folklore du territoire. Quelques jalons pour éviter la tempête :

  1. Définir un périmètre clair

    Sur quoi mutualiser ? Tout le SI ou juste une brique (ex : la sauvegarde, la messagerie) ? L’exemple du SI mutualisé du Syndicat Mixte Mégalis Bretagne montre que démarrer sur un projet limité (comme un portail usager commun) est plus digeste, avant d’ouvrir la palette.

  2. S’organiser autour d’une structure formelle

    Syndicats intercommunaux, groupements d’intérêt public (GIP), pôles numériques départementaux… Comme le GIP-ESEA dans les Pays de la Loire, avec plus de 300 communes adhérentes (source : GIP-ESEA). C’est la garantie d’une gouvernance partagée, d’une voix pour chaque territoire.

  3. Écrire noir sur blanc la gouvernance

    Qui pilote quoi ? Comment répartir les dépenses, qui choisit les prestataires ? On ne mutualise pas à la confiance “comme avant”. Il faut du contrat, du calendrier, des objectifs – et pouvoir débrancher si ça tourne à la foire d’empoigne.

  4. Soigner la communication (avant que naissent les rumeurs)

    Rien ne sert de présenter une DSI mutualisée « sauveuse » sans expliquer localement ce qui va changer ou non. Les agents doivent être associés dès le début, éviter “l’effet parachutage”. Sinon, gare à la “grève de la souris”.

  5. Assurer la cybersécurité sur le périmètre partagé

    Audit commun, outils de surveillance à l’échelle du groupement, formation de tous (élus, agents, stagiaires). Le rapport parlementaire sur la cybermenace locale de 2022 pointait que seulement 30% des établissements publics mutualisés avaient mis en place un plan de gestion de crise robuste (source : Sénat).

Anecdotes et ratés : les écueils à éviter (testé sur le terrain)

  • Le syndrome du “c’est mon jouet, je prête pas”

    Une commune sur trois garde au moins un outil “hors périmètre” pour éviter de “perdre la main” (source : enquête Banque des Territoires 2022). Résultat : doublons, pertes d’efficacité, jour de patchwork lors des audits.

  • L’arbre qui cache la forêt

    Mutualiser une surface (messagerie, cloud) sans se parler des vraies divergences : pratiques métiers, fusion d’agendas, secrets d’État du service technique – le plus dur n’est pas la technique, c’est l’humain !

  • L’échelle qui rend fou

    Parfois, mutualisation rime avec “usine à gaz” : trop de communes, trop de logiciels, trop de niveaux d’adhésion. Créer des groupes géographiques ou thématiques limite l’explosion (ex : mutualiser d’abord entre communes voisines, puis élargir à l’agglo).

  • L’oubli du service rendu au citoyen

    Mutualiser peut vite tourner à “gestion de boutique”. Ce qui prime, c’est la simplicité et la qualité : un portail usager performant, des démarches sans bug, et une vraie continuité du service public, même en cas de grève du numérique ou d’orage.

Des exemples qui roulent… et des pistes pour demain

  • Archipel (Bretagne) : mutualisation sur la gestion des documents administratifs, ouverte à 1 500 communes. Bilan : des archives numériques pérennes, mais surtout des formations à la culture numérique partagée.
  • GIP-ESEA (Pays de la Loire) : groupement support (SI, téléphonie, cloud) pour petites et moyennes communes. Bilan : économies de 15 à 20% sur certains marchés, une hotline commune, et surtout, une réactivité en cas de cyberattaque (3 incidents graves évités sur 2023 grâce au “pool d’experts mutualisé”).
  • Résothem (Occitanie) : plateforme de services numériques mutualisés pour les réseaux de chaleur, voirie, écoles. Les ingénieurs publics sont “délocalisés” dans les territoires, évitant l’effet “DSI hors sol”.

Et demain ? La tendance de fond : ouvrir la mutualisation au-delà de l’informatique “pure” pour gérer aussi la data (données environnementales, énergie, mobilité). Certains territoires creusent la piste du cloud souverain : ne plus dépendre des GAFAM pour héberger les applications et données locales, mais réunir les ressources régionales pour peser et garder la maîtrise (source : Cloudwatt, rapport Sénat 2023).

Rester maître à bord… tout en ramant ensemble

Au bout du compte, mutualiser, ce n’est pas perdre son identité. C’est naviguer, à plusieurs, sur la même houle numérique – et savoir que demain, le prochain bug ou la prochaine crise, ce sera moins galère à gérer à plusieurs. Car, comme on dit quand la mer est démontée : il vaut mieux manœuvrer à plusieurs, que finir tout seul sur un canot. Voilà l’essence de la mutualisation numérique locale : un pas de côté vers l’efficacité, un grand bol d’air collectif, et un peu moins de nuits blanches à surveiller les PC qui fument.

Pour aller plus loin :

  • ANSSI, état de la menace informatique sur les collectivités (2023)
  • Banque des Territoires, guide de la mutualisation SI collectivités
  • ADULLACT, étude sur les économies générées par l’open source dans la sphère publique
  • Mégalis Bretagne, retours d’expérience mutualisation numérique
  • Rapport du Sénat 2022 sur la gestion de crise cyber au niveau local

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